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INTRODUCTION.

d’Angleterre, je serai le chef de ces bons drilles. » Cette altesse royale est devenue si familière avec les misères qu’elle parle leur idiome : elle sait l’argot ! « Je puis boire avec le premier chaudronnier venu dans son propre jargon, ma vie durant. » Comme il connaît la corruption de la langue, le prince doit connaître la corruption des mœurs. Il s’aventure donc dans la Cour des Miracles du vice. Mais admirez avec quelle sollicitude l’auteur à su préserver l’auguste personnage des éclaboussures de la fange sociale. Fidèle à la tradition historique, Shakespeare risque son héros dans une affaire de vol, mais, par un singulier tour d’adresse, il lui fait voler… les voleurs. Là ne se bornent pas les précautions du poète. Les compagnons, que la chronique assigne au prince de Galles, étaient des gens de sac et de corde, des brigands de profession, des truands infâmes voués à l’horreur publique. Était-il possible qu’une nature réellement généreuse se plût un seul moment dans une telle crapule ? La gloire du héros pouvait-elle sortir immaculée d’une si avilissante association ? S’il est vrai que qui se ressemble s’assemble, un pareil commerce n’eût-il pas attesté chez Harry une véritable perversité morale ? Ici Shakespeare rencontrait une difficulté de premier ordre. Il fallait trouver un moyen terme pour réconcilier la vérité historique avec l’idéal dramatique. Il fallait expliquer par quelque circonstance exceptionnelle cette anomalie d’une âme profondément vertueuse fourvoyée dans la société du vice. Il fallait imaginer dans un cercle de dépravation une relation possible pour une conscience honnête. Il fallait évoquer d’un milieu répulsif une figure assez sympathique pour séduire un grand cœur, assez attrayante pour charmer tous les esprits. Il fallait enfin donner à Henry de Monmouth un compagnon qui justifiât l’indulgence du prince en conquérant la faveur du