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LA PATRIE.

gouvernables et de libertins prodigues, il les bannit désormais de sa présence. » Et, pour montrer jusqu’où étaient allées les extravagances du prince, Holinshed rappelait certaine tradition scandaleuse d’après laquelle Henry de Monmouth aurait été effectivement complice d’un vol de grand chemin, et, aidé par des brigands, aurait dévalisé les receveurs du roi son père. Un de ses compagnons ayant été arrêté, le prince serait allé réclamer le prisonnier, et, comme le grand juge Gascoygne refusait d’accéder à cette demande, il l’aurait souffleté sur son tribunal : si bien que le magistrat outragé aurait fait incarcérer le prince. — C’est ainsi que les renseignements historiques fournis à Shakespeare présentaient les commencements de Henry de Monmouth. Henry avait été un libertin, un débauché, un bandit et un voleur avant d’être le héros d’Azincourt ! Souillé de tous les vices, il avait commis tous les forfaits avant de donner au monde l’exemple de toutes les prouesses ! La plus pure gloire de l’Angleterre était sortie brusquement d’un cloaque d’impuretés ! Et, pour opérer ce prodige, pour faire du cœur le plus vicieux l’âme la plus vertueuse, il avait suffi de quelques paroles dites par un mourant !

Cette vérité historique, si authentique qu’elle fut, était trop invraisemblable pour être consacrée par un grand poëte dramatique. Shakespeare devait, avant tout, restituer à son héros l’unité de caractère que lui refusait l’histoire. Il n’a pas hésité. Il a accepté la tradition, mais en la transfigurant.

Henry de Monmouth, tel que le poëte l’a conçu, est une nature profondément bonne et généreuse. Tous les nobles instincts, toutes les qualités chevaleresques, tous les sentiments exquis se sont harmonieusement fondus dans ce tempérament d’élite : douceur et force, énergie et grâce, expansion et réserve, indulgence et rigidité, timi-