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LA PATRIE.

le Walhalla scandinave où les ombres restent casquées.

À Henry Percy Shakespeare a donné pour rival Harry de Monmouth. Celui-là est dans le camp de Mortimer ; celui-ci est dans le camp de son père Henry IV. Mais ce n’est pas seulement par la différence des drapeaux qu’ils sont ennemis, c’est par la diversité des génies. Les instincts du passé animent Hotspur ; les souffles de l’avenir inspirent le prince de Galles. L’un a cette bravoure folle qui ne sait que détruire ; l’autre a ce courage éclairé qui édifie. Henry Percy est le chevalier errant de la barbarie ; Henry de Monmouth sera le stratège de la civilisation. — Arrêtons-nous devant cette figure historique que le maître a idéalisée avec un si affectueux enthousiasme. Dans la pensée de Shakespeare, le futur vainqueur d’Azincourt doit être l’incarnation souveraine de la nationalité anglaise. La patrie trouvera son héros dans ce prince qui doit un jour planter l’étendard britannique au haut des tours de Notre-Dame de Paris. Elle obtiendra son triomphe suprême de ce victorieux unique, destiné à réunir sur le même front les deux premiers diadèmes du monde et à mourir roi d’Angleterre et de France. Est-il étonnant que cette gloire toute nationale ait exercé un tel prestige sur le plus national des poètes ? Dans la ferveur de son patriotisme, Shakespeare assigne au futur roi de Londres et de Paris la première place dans le Panthéon des guerriers. Il rêve Henry V plus haut que Cyrus et qu’Alexandre, plus haut même que César :


A far more glorious star thy soul will make
Than Julius Caesar.
Ton âme fera un astre bien plus glorieux
Que Jules César[1].

Shakespeare a voulu nous donner le secret de cette prodigieuse carrière. Il a voulu prouver au monde que le

  1. Henri VI.