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EXTRAIT DE LA CHRONIQUE DE FROISSART.

Richard du châtel d’amont jusques à la cour, parlant ensemble : et lui fit avoir son état tout entier, sans muer ni changer, ainsi qu’il avait eu devant : et ce pendant qu’on sellait et appareillait les chevaux, le roi Richard et le comte devisaient ensemble de paroles, et étaient moult regardés d’aucuns Londriens qui là étaient : et advint une chose (dont je fus informé) que je vous dirai.

Le roi Richard avait un lévrier (lequel on nommait Math), très-beau lévrier outre mesure : et ne voulait ce chien connaître nul homme, fors le roi ; et quand le roi voulait chevaucher, celui qui l’avait en garde le laissait aller : et ce lévrier venait tantôt devers le roi le festoyer, et lui mettait, incontinent qu’il était échappé, les deux pieds sur les épaules. Et adoncques advint que le roi et le comte d’Erby, parlant ensemble en la place de la cour dudit château, et étant leurs chevaux tous sellés, ce lévrier (qui était coutumier de faire au roi ce que dit est) laissa le roi, et s’envint au duc de Lanclastre, et lui fit toutes telles contenances que par avant il avait accoutumé de faire au roi, et lui assit les deux pieds sur le col, et le commença moult grandement à chérir. Le duc de Lanclastre (qui point ne connaissait ce lévrier) demanda au roi : — Et que veut ce lévrier faire ?

— Cousin (dit le roi), ce vous est une grande signifiance et à moi petite.

— Comment (dit le duc) l’entendez-vous ?

— Je l’entends, dit le roi. Le lévrier vous festoie aujourd’hui comme roi d’Angleterre que vous serez, et j’en serai déposé : et le lévrier en a connaissance naturelle. Si le tenez delez vous : car il vous suivra et m’éloignera.

Le duc de Lanclastre entendit bien cette parole et fit chère au lévrier : lequel onc depuis ne voulut suivre Richard de Bordeaux : mais suivit le duc de Lanclastre.