Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
486
RICHARD II ET HENRY IV.

Vas aux cloches, et fais qu’elles sonnent gaîment
Le râle de ton père et ton couronnement,
Et tu ne répandras pour tous pleurs que le baume
Qui sacrera ton front possesseur du royaume.
Puis, fais vite jeter aux vers mon pauvre corps ;
Moi parti, mets aussi mes officiers dehors ;
Que ta colère soit le prix de leurs services ;
Et proclame bien haut l’avènement des vices !
Plus de loi ni de règle : Henry Cinq est le roi !
Donc, à bas, majesté ; démence, lève-toi !
Arrière, conseillers à l’austère figure !
Vous, singes fainéants, bandits, engeance impure.
Accourez de partout, c’est enfin votre tour ;
Écume de la terre entière, sois la cour !
Nations, avez-vous quelque coureur d’orgies,
Quelque ivrogne terrible, aux mains de sang rougies,
Quelque monstre qui soit, dans nos temps stupéfaits.
Un visage nouveau de tous les vieux forfaits ?
Tout ce que vous avez de canailles sinistres,
Donnez-les à ce prince : il lui faut des ministres !
Otez la muselière au crime, et que ce chien
Puisse mordre la chair de tout homme de bien !
Ô mon pauvre royaume, ô ma chère patrie
Que la guerre civile a déjà tant meurtrie,
Que vas-tu devenir, après tout frein rompu ?
Si, moi qui ne vivais que pour toi, je n’ai pu
Te préserver du mal, traqué dans sa caverne,
Que verra-t-on si c’est le mal qui te gouverne ?
Oh ! tu redeviendras, ainsi qu’aux anciens temps,
Un noir désert avec les loups pour habitants !

henry, tombant à genoux.

Pardonnez. — Sans l’humide obstacle de mes larmes,
J’eusse arrêté ces mots amers et pleins de charmes :
Amers, puisque j’entends mon père m’accabler.
Charmants, puisque j’entends mon père me parler.
— Voilà votre couronne. Elle est à vous. J’atteste
Celui qui porte au front la couronne céleste
Que mon plus cher désir est qu’elle soit à vous
Encor pour bien longtemps. Je suis à vos genoux.
Je jure d’y rester jusqu’à ce que mon père
Soit bien sûr qu’en parlant ainsi je suis sincère.
Dieu sait, lorsqu’étendu sur ce lit de malheur
Vous ne respiriez plus, quel froid m’a pris au cœur !
Si je mens, que je meure avec l’horrible tache
De mes vices présents, sans que le monde sache