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LA PATRIE.

comme si elle perdait son défenseur. L’exilé fut escorté à son départ par un peuple en larmes. « Quand le comte d’Erby monta à cheval, et se départit de Londres, plus de quarante mille hommes estoient sur les rues qui crioient et pleuroient aprez luy, si piteusement que c’estoit grande pitié de les veoir, et disoient : Haa, gêtil comte d’Erby, nous laisserez-vous donc ? J’amais le pays n’aura bien ne ioie jusqu’à ce qu’y soyez retourné, mais les jours de retour sont trop longs. Par enuie, cautelle et trahison on vous met hors de ce royaume. » L’auteur dramatique ne pouvait nous donner ce spectacle : il ne pouvait nous montrer cette immense multitude éplorée faisant au proscrit un cortége de lamentations. Mais il a mis sur la scène l’envers du tableau. Ce qui fait la douleur du peuple fait par contre-coup la joie du despote. Bolingbroke n’a pas plutôt disparu, que Richard laisse éclater devant ses familiers son indécente satisfaction. Il écoute complaisamment le récit cynique d’Aumerle qui se vante d’avoir quitté l’œil sec son cousin banni. Lui-même a vu Bolingbroke et se moque des courtoisies que celui-ci adressait à la canaille : — Que de respects il prostituait à ces manants ! Il ôtait son chapeau à une marchande d’huîtres ! Deux haquetiers lui criaient : Dieu vous bénisse ! et obtenaient le tribut de son souple genou !

Cependant une nouvelle funèbre fait trêve à ces railleries : le vénérable Jean de Gand se meurt, tué par la douleur d’avoir perdu son fils, et, avant d’expirer, a exprimé le désir de voir le roi. La mort même ne saurait imposer silence à la joie féroce de Richard. Au douloureux message il répond par cette facétie hideuse :

— Ciel ! suggère au médecin l’idée de le dépêcher immédiatement à sa tombe… Venez, messieurs, allons le