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INTRODUCTION.

donc se résigner à attendre de Dieu la sentence que les hommes ne sauraient prononcer.

— Confions notre cause à la volonté du ciel. Quand il verra les temps mûrs sur terre, il fera pleuvoir une brûlante vengeance sur la tête des coupables.

La duchesse insiste : que vient-on parler de soumission au désespoir ! La patience du duc de Lancastre lui fait l’effet d’une lâche indifférence.

— La fraternité n’est-elle pas pour toi un stimulant plus vif ? L’amour n’a-t-il pas plus de flamme dans ton vieux sang ? Ah ! Jean de Gand, son sang était le tien ; et tu as beau vivre et respirer, tu es tué en lui ; c’est acquiescer hautement à la mort de ton père que de laisser périr ton malheureux frère, cette vivante image de ton père… Ce que nous appelons patience chez les gens vulgaires n’est que pâle et blême couardise dans les nobles poitrines.

Inutile appel. Jean de Gand ne se laisse pas ébranler ; rien ne peut le faire dévier du respect qu’il doit à la majesté royale. Le roi ne saurait trouver de juge ici-bas : il ne relève que de là-haut.

— Cette querelle est celle de Dieu, God’s is the quarrel.

Car c’est le représentant de Dieu, l’oint du seigneur sacré sous ses yeux même, qui a causé sa mort : si ce fut un crime, que Dieu en tire vengeance, car je ne pourrai jamais lever un bras irrité contre son ministre.

— À qui donc, hélas ! pourrai-]e me plaindre ?

— Au ciel, le champion et le défenseur de la veuve !

Cette scène entre la veuve et le frère du duc de Glocester est le prologue véritable de l’action. C’est par ce dialogue, jusqu’ici trop peu remarqué, que l’auteur expose son sujet et nous en montre l’étendue. « Cette querelle est celle de Dieu. » Nous allons assister à ce drame immense :