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INTRODUCTION.

tème qui faisait d’un individu l’arbitre du bien et du mal. Eh quoi, de cette créature humaine comme nous, charnelle comme nous, fragile comme nous, dépendraient ici-bas les axiomes de l’immuable morale ! Une créature serait, par droit de naissance, maîtresse absolue de tous les êtres ; une fantaisie serait la norme de toutes les volontés ; elle pourrait dire : l’État, c’est moi. Elle pourrait gouverner à sa guise : contre elle pas de garantie, pas de recours, pas de remontrance. La légitimité de la naissance lui rendrait tout légitime. Elle pourrait à son aise être inique, oppressive, tyrannique, infâme ; elle aurait un blanc-seing pour pressurer, spolier, tailler, voler, décimer les peuples. La couronne, ce serait l’impunité ! — Eh bien, non, cela n’est pas ; le poëte proteste contre cette théorie du jurisconsulte. Pour lui, cette théorie est plus qu’une imposture, c’est un blasphème. Votre roi légitime n’a pas de droit contre le droit : il est soumis, comme nous tous, aux lois universelles de l’équité. Les principes éternels qui président à l’ordre des choses ne sont jamais impunément outragés. Tôt ou tard ces principes offensés se redressent contre l’offenseur avec la violence irrésistible des éléments ; ils soulèvent dans leur colère la patrie opprimée, ameutent les âmes, arment les bras, et, renversant le tyran sous la coalition des consciences, revendiquent par une révolution réparatrice leur toute-puissance méconnue. Alors la vérité éclate incontestable : la souveraineté, à laquelle appartient le gouvernement du monde, n’est pas le caprice d’un seul homme, mais la raison suprême exprimée par la volonté de tous.

Démontrer l’impuissance de l’arbitraire monarchique devant l’omnipotence providentielle, prouver que les décrets du bon plaisir royal ne sauraient prévaloir contre les arrêts de la justice absolue, détruire cette supersti-