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INTRODUCTION.

Certes il fallait un grand courage civique pour oser offrir un pareil spectacle sous le régime despotique des Tudors. La poésie, je le sais, était ici couverte par l’histoire ; Shakespeare pouvait se retrancher derrière Froissart et Holinshed. N’importe. Malgré l’habileté suprême du poëte qui prenait la chronique pour texte, le coup de théâtre parut si audacieux qu’il alarma la presse naissante. Le libraire Andrew Wyse, qui publia le premier le drame de Richard II, fut obligé de le tronquer. Fait bien significatif, — la scène essentielle de la déposition du roi manque à l’édition de 1597 ; elle ne fut pas publiée du vivant d’Élisabeth ; et ce n’est qu’en 1608 que l’éditeur Matthew Law se risqua à la restaurer. — Ainsi la censure jalouse des Tudors, à qui l’ouvrage avait échappé sur le théâtre, le poursuivait dans le livre. Elle faisait pis que le supprimer, elle le mutilait. Elle châtrait ce drame viril ; elle le dénaturait ; elle lui enlevait cette conclusion féconde qui en est le complément indispensable. Impuissante rancune. Stériles représailles exercées par un pouvoir éphémère contre l’immortel génie ! L’ouvrage, lacéré par les ciseaux d’une vieille fille couronnée, devait reparaître, quelques années plus tard, dans son invulnérable intégrité. Et aujourd’hui la critique moderne s’incline, émue et reconnaissante, devant ce drame unique qui fut à la fois l’œuvre d’un grand poëte et l’acte d’un grand citoyen.

Oui, — nous ne saurions le dire trop haut, — Richard II est une conception éminemment patriotique. Ce qui inspire ce drame, ce qui l’anime, ce qui l’exalte, c’est l’amour de la patrie. Shakespeare, en effet, aimait passionnément son pays. Jamais poëte n’eut plus que lui le culte de la terre natale. Voué à l’humanité par l’immensité de son génie, Shakespeare appartenait à sa patrie par tous les instincts de son cœur. Pour être cosmopolite, sa