Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
INTRODUCTION.

qu’on est convenu de nous présenter ; ce ne serait plus ce poëte de cour, commode, heureux, complaisant et satisfait, que les biographes nous ont rendu familier ; ce serait un personnage jusqu’ici inconnu ; ce serait un autre Shakespeare ; ce serait un libre penseur amer, sombre, austère, attristé et mécontent ! — Shakespeare mécontent, est-il possible ? Mécontent de quoi, et de qui, s’il vous plaît ? — Mécontent d’Elisabeth Tudor ! Mécontent de la reine et de ses ministres ! Mécontent de la chambre étoilée ! Mécontent de tous les droits supprimés, de toutes les libertés violées, de toutes les consciences asservies ! Mécontent des peuples pressurés, des Irlandais massacrés, de Marie Stuart assassinée ! Mécontent de la tyrannie ! Ah ! il en coûterait trop aux loyaux sentiments de tout bon sujet britannique d’admettre une aussi choquante hypothèse. Supposer que Shakespeare pût murmurer contre un absolutisme hideux, ce serait lui faire injure. Il faut à tout prix réfuter cette calomnie. Et voilà les commentateurs à l’œuvre ! Les voilà qui tous s’ingénient pour établir que le Richard II, joué la veille de l’insurrection de 1601, ne peut pas être le Richard II de notre poëte.

Et d’abord ces messieurs croient trouver un argument péremptoire dans les paroles mêmes prononcées par Augustin Phillips pendant son entretien avec les conjurés. Comme le lecteur se le rappelle, quand sir G. Merrick demanda à Phillips de reprendre le drame de Richard II, le comédien répliqua que le drame, étant « vieux et tombé en désuétude, old and out of use, « attirerait peu de monde et que le théâtre perdrait à le jouer. Or, objectent ces messieurs, cette qualification était-elle applicable au drame du maître ? Le Richard II de Shakespeare, joué pour la première fois vers 1595, pouvait-il être traité de vieille pièce en 1601 ? — Pour discuter sérieu-