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INTRODUCTION.

lait encore avec quelle colère la reine Élisabeth avait dénoncé l’ouvrage de sir John :

— N’y aurait-il pas moyen, avait-elle dit au conseiller Francis Bacon, de trouver dans ce livre quelque chose comme une trahison ?

— Aucune trahison, madame, avait répondu le jurisconsulte, mais maintes félonies.

— Comment cela ?

— Oui, madame, maintes félonies : l’auteur a maintes fois volé Tacite.

C’est par cette spirituelle répartie que Bacon avait soustrait l’historien au supplice des traîtres. Sir John, on le voit, l’avait échappé belle.

Le fait est que la reine s’était crue personnellement offensée par la publication de Haywarde. Quelques remarques sévères sur le mauvais gouvernement de Richard II et sur la funeste influence de ses favoris lui avaient paru autant de critiques dirigées à mots couverts contre elle-même et contre ses ministres. Chose étrange et presque inexplicable, la terrible fille de Henry VIII, en plein triomphe, en pleine toute-puissance, se comparait intérieurement au faible prince qui, deux siècles auparavant, avait été précipité du trône par son impuissance même. Elle regardait comme une menace le souvenir de cette révolution nationale qui avait substitué au fils du Prince Noir le fils de Jean de Gand. La fin tragique du roi détrôné l’obsédait comme un cauchemar, et, dans le délire de sa frayeur, Élisabeth s’identifiait avec Richard. Un jour de cette même année 1601, le 4 août, la reine feuilletait, dans son appartement de Greenwich, le registre des archives de la Tour de Londres que venait de lui apporter le greffier Lambarde ; tout à coup elle s’arrêta au règne de Richard II et dit : — Je suis Richard II, sais-tu cela ?