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INTRODUCTION.

mal, il y a le remède. Cassius n’est pas de ces fatalistes qui croient la volonté humaine impuissante devant la force des choses. Si violent que soit le flot des événements, il est possible à l’effort individuel de le refouler. « Les hommes à de certains moments sont maîtres de leurs destins. Si nous ne sommes que des subalternes, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles. » Le passé d’ailleurs fait ici la leçon à l’avenir. À l’appui de ses espérances, Cassius peut citer un illustre exemple : il peut, dans la famille même de celui à qui il s’adresse, nommer un homme qui, de sa propre initiative, changea le cours de l’histoire, ce grand Junius qui, en expulsant les Tarquins, substitua brusquement la république à la royauté : « Oh ! nous avons ouï dire, vous et moi, qu’il fut jadis un Brutus qui eût laissé dominer Rome par l’éternel démon aussi volontiers que par un roi ! »

Noblesse oblige. Adressé à l’héritier du nom de Brutus, certes l’argument est impérieux. Si l’aïeul a réussi, pourquoi le descendant ne réussirait-il pas ? Faut-il donc plus d’énergie pour empêcher une révolution que pour en accomplir une ? Si Junius a pu chasser la monarchie de Rome, pourquoi Marcus ne pourrait-il pas en prévenir le retour ? Si, par un effort, l’ancêtre a pu fonder la République, pourquoi, par un autre effort, le petit-fils ne la sauverait-il pas ? Telles sont les réflexions que suggère le souvenir si victorieusement rappelé ici. Cassius ne peut mieux terminer sa harangue que par cette prosopopée décisive. Il a évoqué le spectre vénérable du fondateur de la République, et c’est cette ombre paternelle qui maintenant indique le devoir à Brutus. Obéissant à une injonction si auguste, Marcus fera désormais céder les considérations privées aux griefs publics. Il sacrifiera sa sympathie pour César à son culte pour les principes. Comment il combattra la tyrannie, il ne le sait pas encore, mais il le