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LA SOCIÉTÉ.

l’attentat contre le fondateur de l’Église, Le meurtre commis au pied de la statue de Pompée les mettait en deuil autant que le crucifiement du Golgotha. Pour elles, en effet, César représentait sur la terre le même principe d’autorité que le Christ représentait au ciel. César régnait ici-bas comme le Christ là-haut. En vertu du droit divin, l’un et l’autre avaient légué leur autorité imprescriptible à deux dynasties élues qui devaient à jamais régir l’univers. Après tant de siècles écoulés, la majesté de César resplendissait encore sous le diadème du Kœnigsstühl, comme la majesté du Christ sous la tiare du Vatican. Et comment le monde chrétien ne se serait-il pas prosterné devant la toute-puissance de César, quand le Christ lui-même s’était incliné devant cette toute-puissance ? En disant : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, Jésus n’avait-il pas assuré à César la monarchie de ce monde ? N’avait-il pas sanctionné pour jamais l’usurpation du conquérant des Gaules, légitimé le passage du Rubicon, absous la violation de la République, donné raison au vainqueur de Pharsale et tort aux vaincus ? C’était dans ce sens que les générations du moyen âge interprétaient le verbe évangélique. Conséquemment, autant la gloire de César leur était sacrée, autant le renom de ses ennemis leur était odieux. Durant plus de mille ans, elles persécutèrent la mémoire de Brutus des mêmes imprécations fanatiques dont elles poursuivaient le souvenir de Judas.

Cependant l’ère de la vérité et de la justice devait venir avec la renaissance des lettres. Le même siècle qui avait vu la pensée humaine se révolter contre l’autorité de l’Église, devait la voir s’élever contre l’autorité de l’Empire. La discussion religieuse entraînait, par une logique inévitable, la contestation politique. Il appartenait à la poésie protestante de donner, dans l’ordre laïque, le même signal d’insurrection que, dans l’ordre ecclésiastique, avait donné