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INTRODUCTION.

plus vite pour échapper à ses imprécations enragées.

— Honnête homme unique, tiens, prends cet or. Va, sois riche et sois heureux, mais à cette condition, c’est que tu iras bâtir loin des hommes. Exècre-les tous, maudis-les tous ; n’aie de charité pour aucun. Donne aux chiens ce que tu refuses aux hommes ! que les passions les dévorent et qu’ils soient comme des forêts désolées !

— Oh ! laissez-moi vous consoler, mon maître !

— Si tu redoutes les malédictions, ne reste pas, fuis, tandis que tu es béni et sauf. Ne revois jamais l’homme et que je ne te revoie jamais.

Après l’expulsion de Flavius, le patient est désespéré.

Et qui pourrait le sauver en effet ? Ce ne sont pas ces artistes infâmes qu’attire uniquement auprès de lui l’espoir du lucre et qu’il a bien raison de bâtonner. Ce ne sont pas ces sénateurs égoïstes et lâches qui, effrayés des progrès de l’insurrection vengeresse, tentent auprès de lui une démarche de conciliation uniquement conseillée par la peur. Les envoyés d’Athènes perdent leurs paroles. En réponse à leurs propositions intéressées, ils n’obtiennent du misanthrope que des invectives frénétiques. Timon les honnit en leur annonçant sa fin imminente : « Tenez, j’étais en train d’écrire mon épitaphe ; on la verra demain. La longue maladie de ma vie et de ma santé commence à céder, et le néant va me donner tout. Allez, vivez, qu’Alcibiade soit votre fléau, soyez le sien, et que cela dure longtemps ! » Le moribond considère ceux qui l’entourent avec les yeux hagards du dernier délire. L’outrage lui monte aux lèvres comme une écume suprême. L’imprécation est le râle sinistre de l’hypocondre. Et, quand il expire enfin, c’est dans un anathème :

— Ne revenez plus près de moi ; mais dites aux Athéniens que Timon a construit son éternelle demeure sur une plage voisine du flot salé, qu’une fois par jour, de son