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INTRODUCTION.

d’Othello ; Apémantus, la froide malveillance d’Iago.

Aussi, dans ses accès les plus farouches, Timon conserve et mérite encore notre compassion. En écoutant ce désespéré qui voue l’humanité à la destruction, nous éprouvons pour lui cette pitié mêlée d’effroi que nous inspire le More de Venise égorgeant Desdémone. Le poëte n’a pas voulu laisser prescrire cette sympathie, si nécessaire à l’effet même du drame, et voilà pourquoi il l’a ravivée au dernier moment par une scène profondément touchante. — William Shakespeare était né et avait grandi à côté du peuple. Il connaissait le peuple et l’aimait. Il savait par expérience personnelle tout ce que le peuple cache de délicate bonté et d’exquise tendresse sous cette rudesse extérieure dont la servitude lui a fait une livrée. L’expérience de l’homme n’a pas été perdue pour l’écrivain. Shakespeare a maintes fois dans son théâtre rendu hommage à ces vertus ignorées qu’il avait rencontrées et éprouvées dans la vie. Il a saisi toutes les occasions de mettre en lumière ces générosités obscures. Ses drames abondent en belles actions accomplies par d’infimes agents. Ce sont de simples bergers qui nourrissent et élèvent la petite Perdita abandonnée par son royal père. C’est un homme sans nom qui, au péril de sa vie, avertit lady Macduff du guet-apens qui la menace. C’est le vieux domestique Adam qui offre son sang à Orlando mourant de faim. C’est un vassal inconnu qui succombe en voulant sauver le malheureux Glocester du bourreau Albany. Aux moments les plus sombres, c’est presque toujours dans les rangs subalternes qu’éclate le noble exemple. La magnanimité, repoussée d’en haut, se réfugie en bas : reniée par le patriciat, elle se fait plébéienne. — Ici encore la royauté, qu’avait proscrite une égoïste aristocratie, reparaît à nos yeux ravis sous les traits d’un pauvre serviteur. Après de longues recherches, Flavius est enfin parvenu à découvrir la retraite de Timon. Il s’approche, tremblant