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MESURE POUR MESURE, TIMON D’ATHÈNES, ETC.

ne lui prissent toute son armée, car Cæsar ne l’avait pu suivre à cause de sa maladie, pour raison de laquelle il était demeuré derrière, et l’eussent fait, n’eût été le secours d’Antonius qui fit une si extrême diligence que Brutus ne la pouvait croire. Cæsar n’arriva que dix jours après, et se campèrent Antonius à l’encontre de Cassius et Brutus à l’opposite de Cæsar.

» Les Romains appellent la plaine, qui était entre leurs deux osts, les champs Philippiens, et n’avait-on jamais vu deux si belles ni si puissantes armées de Romains, l’une devant l’autre, prêtes à combattre. Il est vrai que celle de Brutus était en nombre d’hommes beaucoup moindre que celle de César, mais en beauté de harnais et en somptuosité d’équipage, il faisait beaucoup meilleur voir celle de Brutus : car la plupart de leurs armes n’étaient qu’or et argent, que Brutus leur avait donné largement, combien qu’en toutes autres choses il enseignât très-bien à ses capitaines à vivre règlement sans superfluité quelconque : mais quant à la somptuosité des armes qu’il faut que les gens de guerre aient toujours en leurs mains, ou qu’ils les portent ordinairement sur leur dos, il estimait qu’elle augmentait le cœur à ceux qui de nature sont convoiteux d’honneur, et qu’elle rend plus âpres au combat ceux qui aiment à gagner et craignent à perdre, à cause qu’ils combattent pour sauver leurs armes, comme leurs biens et leurs héritages. Quand ce vint à faire la revue et la purification de leurs armées, César fit la sienne au dedans des tranchées de son camp, et donna un peu de blé seuleument, et cinq drachmes d’argent par tête à chaque soldat pour sacrifier aux dieux, en leur demandant la victoire. Mais Brutus condamnant cette chicheté ou pureté, premièrement fit la revue de son exercite, et le purifiant aux champs ainsi comme est la coutume des Romains : et puis donna à chaque bande forces moutons pour sacrifier, et cinquante drachmes d’argent à chaque soldat : de manière que leurs gens étaient bien plus contents d’eux, et mieux délibérés de bien faire au jour de la bataille, que ceux de leurs ennemis. Toutefois en faisant les cérémonies de cette puri-