Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
483
NOTES.

empereurs[1] : et comme il advient ordinairement en grandes affaires entre deux personnages qui ont l’un et l’autre beaucoup d’amis et tant de capitaines sous eux, ils avaient quelques plaintes et quelques mécontentements l’un de l’autre. Parquoi devant que faire autre chose, incontinent qu’ils furent arrivés au logis, ils se retirèrent à part en une petite chambre, firent sortir tout le monde, et fermèrent les portes sur eux : et alors commencèrent à se plaindre réciproquement chacun de son compagnon : et finalement vinrent jusqu’à s’entrecharger et accuser en se disant haut et clair leurs vérités l’un à l’autre, avec une grande véhémence, et puis à la fin se prirent tous deux à pleurer.

» Leurs amis qui étaient au dehors de la chambre les oyant tancer ainsi hautement et se courroucer si aigrement, en furent ébahis, et eurent peur qu’ils ne tirassent outre, mais ils avaient défendu que personne n’allât parler à eux : toutefois un nommé Marcus Faonius, qui avait été, par manière de dire, amoureux de Caton en son vivant, et se mêlait de contrefaire le philosophe non tant avec discours de raison qu’avec une impétuosité et une furieuse et passionnée affection, voulut entrer dedans, quoique les serviteurs lui empêchassent l’entrée : mais il était trop malaisé de retenir ce Faonius, à quoi que ce fût que sa passion l’incitât : car il était homme véhément et soudain en toutes choses, qui n’estimait rien la dignité d’être sénateur romain : et combien qu’il usât de cette franchise de parler audacieusement, de laquelle faisaient profession les philosophes qu’on appelait anciennement cyniques, comme qui dirait, chiens, si est-ce que le plus souvent on ne trouvait point son audace fâcheuse ni importune, pour ce qu’on ne faisait que rire de ce qu’il disait. Ce Faonius donc alors malgré les huissiers poussa la porte au dedans, et entra en la chambre, prononçant avec une grosse voix et avec un accent grave qu’il contrefaisait expressément les vers que dit le vieux Nestor en Homère :

Écoutez-moi et mon conseil suivez.
J’ai plus vécu que tous deux vous n’avez,

  1. Imperatores, c’est-à-dire souverains capitaines. (Note d’Amyot.)