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MESURE POUR MESURE, TIMON D’ATHÈNES, ETC.

tuite. Évidemment l’un des deux poètes a inspiré l’autre. Mais lequel ? Est-ce Shakespeare qui est l’auteur original ? Est-ce Drayton ? Une découverte récente, que nous devons à M. Collier, permet de répondre à cette question délicate avec l’assurance d’une certitude presque complète. M. Collier a trouvé une édition in-4o du poème de Drayton antérieure à l’édition in-8o, imprimée en 1603, et chose bien remarquable, cette édition, datée de 1596 et publiée sous un titre différent, ne contient pas la stance que nous avons traduite plus haut. Il est donc infiniment probable, comme le fait observer M. Collier, que c’est Shakespeare qui a inspiré Drayton. Drayton, occupé à réviser son poème, de l’année 1596 à l’année 1603, aura vu jouer Jules César durant cet intervalle, et, frappé par la beauté du portrait de Brutus, n’aura pas hésité à le reproduire et à le prendre pour modèle de son Mortimer. Ce qui ajoute à la vraisemblance de cette conclusion, c’est qu’en 1619, après la mort de Shakespeare, — l’auteur n’étant plus là pour réclamer, — Drayton publia une nouvelle édition de son poème dans laquelle la phrase de Jules César était encore plus ser vilement copiée. Au lieu de ces vers que contenait l’édition de 1603 :

Son vivant caractère était si accompli,
Qu’il semblait que le ciel eût créé ce modèle,
Pour montrer la perfection d’un homme.

L’édition de 1619 disait :

Il était d’un caractère si accompli,
Qu’il semblait que la nature, en le créant.
Voulût montrer tout ce que peut être un homme.

De cet ensemble de présomptions il est donc raisonnable d’inférer que Jules César, antérieur à la seconde édition du poème de Drayton comme à la tragédie de lord Sterline, a dû être composé et représenté dans les dernières années du règne d’Élisabeth. Comme, d’une part, Meres ne mentionne pas ce drame dans son catalogne de 1598, et, comme, d’autre part, les années 1601 et 1602 ont dû être absorbées par la création d’Othello et par la refonte d’Hamlet, nous inclinons à