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LA SOCIÉTÉ.

Comment tout cela va-t-il finir ? Allons-nous assister à ce douloureux holocauste ? Conviés à une comédie, allons-nous être témoins de cette tragédie sinistre ? Verrons-nous égorger le pauvre Claudio, frappé d’un double arrêt par Angelo et par Isabelle, par le juge infâme et par la vierge sainte ? Rassurez-vous. Afin d’empêcher une pareille conclusion, le poëte a prémédité l’expédient providentiel. Pour que le condamné soit sauvé, il suffit que le rendez-vous, imploré par Angelo, lui soit accordé ; mais ce n’est pas Isabelle qui se trouvera à ce rendez-vous, c’est Marianne, — Marianne, la fiancée d’Angelo, qui, depuis six ans, a été abandonnée par lui, et qui, depuis six ans, a la faiblesse de le pleurer. Tel est le moyen sauveur que suggère le duc de Vienne, qui, affublé du froc monastique, est devenu le directeur des deux jeunes filles. — Cette substitution de Marianne à Isabelle, au moment décisif, est un coup de théâtre dont l’habileté scénique a été vantée par la plupart des critiques. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, ce coup de théâtre n’est pas seulement une péripétie dramatique, c’est un élément indispensable à la moralité même de l’œuvre. C’est grâce à cette conception que le caractère d’Isabelle reçoit son plein développement, que l’héroïne reste pure, sans avoir à expier sa sainte obstination par un sacrifice douloureux ; c’est grâce à cette conception qu’Angelo trouve sa confusion dans sa faute même, que le fourbe est corrigé par sa fourberie, que le tout-puissant est vaincu par sa victoire. Il croit avoir obtenu la femme qu’il désirait ; il n’a réussi qu’à posséder la fiancée qu’il délaissait. Il a cru séduire Isabelle, il a épousé Marianne.

Dès lors le drame se dénoue logiquement en comédie. Claudio, arraché au bourreau par l’intervention du duc de Vienne, est rendu à la liberté et à l’amour, pour devenir le mari de Juliette. Angelo, coupable seulement par inten-