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SCÈNE XIII.

nête homme (ne vous y trompez pas), un seul honnête homme, — pas davantage, s’il vous plaît, et c’est un intendant !… Que volontiers j’aurais haï tout le genre humain, — mais toi tu te rachètes. Tous les hommes, excepté toi, je les accable de malédictions ! — En ce moment, ce me semble, tu es plus honnête que sage. — Car, en m’écrasant et en me trahissant, — tu aurais plus aisément trouvé un nouvel emploi ; — beaucoup passent à un second maître — sur le cou du premier. Mais dis-moi franchement — (car il faut toujours que je doute en dépit de l’évidence), — ta générosité n’est-elle pas hypocrite et calculée, comme — la générosité usuraire du riche qui multiple les présents, — espérant qu’on lui en rendra vingt pour un ?

flavius.

— Non, mon digne maître ; dans votre cœur — le doute et le soupçon, hélas ! trouvent place trop tard ; — vous auriez dû vous défier d’un monde perfide, quand vous étiez en fête ; — mais le soupçon arrive toujours quand tout est perdu. — Le ciel le sait, ma démarche n’est qu’un acte d’affection, — de respect et de zèle pour votre âme incomparable, — de sollicitude pour votre subsistance et votre entretien : et, croyez-le, — mon très-honoré seigneur, — tous les bénéfices qui s’offrent à moi — dans l’avenir, comme dans le présent, — je consentirais à les abandonner — pourvu seulement que vous eussiez le pouvoir et les moyens — de me dédommager par le spectacle de votre richesse !

timon.

— Regarde et sois satisfait !… Honnête homme unique, — tiens, prends ceci.

Il lui donne de l’or.

Les dieux ont de ma misère — tiré pour toi un trésor. Va, vis riche et heureux, mais à une condition : c’est que tu iras bâtir loin des hommes. — Exècre-les tous, mau-