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SCÈNE XIII.

timon.

— Si je ne suis pas déçu, je ne te reverrai jamais.

alcibiade.

Je ne t’ai jamais fait de mal.

timon.

— Si fait, tu as dit du bien de moi.

alcibiade.

Et tu appelles cela un mal !

timon.

— Un mal dont les hommes sont chaque jour victimes. Va-t’en, — et emmène les lices avec toi.

alcibiade.

Nous ne faisons ici que le blesser… — Battez, tambours !

Le tambour bat. Sortent Alcibiade, Phryné et Timandra.
timon.

— Se peut-il qu’une nature, écœurée de l’ingratitude humaine, — ait pourtant faim encore !…

Il se remet à bêcher la terre.

Ô toi, notre mère commune — dont l’incommensurable matrice procrée tout, dont le sein infini — nourrit tout ; toi qui de la même substance — dont tu enfles ton orgueilleux enfant, l’homme arrogant, — engendres le noir crapaud, la couleuvre bleue, — le lézard doré, le reptile aveugle et venimeux, — et tout ce qui naît d’horrible sous la coupole céleste — qu’illumine le feu vivifiant d’Hypérion ; — fais surgir, pour celui qui hait tous les humains, tes fils, — une pauvre racine de tes généreuses entrailles — ! Stérilise ta fertile et puissante matrice, — qu’elle ne produise plus l’homme ingrat ! — Sois grosse de tigres, de dragons, de loups et d’ours ; — enfante des monstres nouveaux que ta surface — ne présenta jamais à la voûte de marbre — du firmament !… Oh ! une racine !… Merci, merci !… — Dessèche tes artères, tes vignobles et tes champs labourés ;