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TIMON D'ATHÈNES.

SCÈNE XIII.
[Dans les bois.]
Entre Timon, une bêche à la main.
timon.

— Ô soleil, générateur bienfaisant, dégage de la terre — une humidité pestilentielle, et infecte l’air qu’on respire — sous l’orbe de ta sœur (18) ! Deux Jumeaux sortent de la même matrice ; — pour eux la conception, la gestation, la naissance — ont été presque identiques ; eh bien, dotez-les de fortunes diverses : — le plus grand méprisera le plus petit. La créature, — qu’assiégent toutes les calamités, ne peut supporter une grande fortune — sans mépriser la créature. — Élevez-moi ce mendiant, abaissez-moi ce seigneur : — au patricien s’attachera le dédain héréditaire, — au mendiant la dignité native. — La pâture engraisse l’animal — qu’amaigrit la disette. Qui osera, qui osera — se lever dans la loyauté de son âme — et dire : cet homme est un flatteur ? S’il l’est, — tous le sont : car chaque degré de l’échelle sociale — est exalté par le degré inférieur : le cuistre savant — se prosterne devant l’imbécile cousu d’or. Tout est oblique : — rien n’est droit dans nos natures maudites, — si ce n’est la franche infamie. Honnies soient donc — toutes les fêtes, les sociétés, les cohues humaines ! — Timon méprise son semblable comme lui-même ! — Que la destruction enserre l’humanité !

Il bêche la terre.

Terre, donne-moi des racines. — Et s’il en est qui réclament de toi davantage, flatte leur goût — avec tes poisons les plus violents… Que vois-je là ? — De l’or ! ce jaune, brillant et précieux métal ! Non, dieux bons ! — je ne fais pas