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SCÈNE XII.

eau ; — et nous pauvres matelots, debout sur le pont défaillant, — nous écoutons gronder les vagues, forcés de nous séparer — tous dans l’océan de la vie.

flavius.

Chers compagnons, — je veux partager avec vous tous le reste de mon avoir. — Où que nous nous retrouvions, au nom de Timon, — soyons toujours camarades, et disons-nous en secouant la tête, — comme pour sonner le glas de la fortune de notre maître : — Nous avons vu des jours meilleurs.

Leur distribuant de l’argent.

Que chacun prenne sa part. — Voyons, tendez tous les mains. Plus un mot ! — Nous nous séparons pauvres d’argent, mais riches de douleur.

Les serviteurs sortent.

— Oh ! la terrible détresse que nous apporte la splendeur ! — Qui ne souhaiterait d’être exempt de richesses, — quand l’opulence mène à la misère et au mépris ? — Qui voudrait de cette splendeur dérisoire, de cette existence — ou l’amitié n’est qu’un rêve, — de ce faste et de tout cet apparat — peints du même vernis que tant de faux amis ! — Pauvre honnête homme accablé par son propre cœur, — perdu par sa bonté ! Étrange et rare nature — dont le plus grand crime est d’avoir fait trop de bien ! — Qui osera désormais être à moitié aussi généreux, — puisque la bonté qui fait les dieux ruine les hommes ?… — Maître bien-aimé qui n’as été béni que pour être maudit, — riche que pour être misérable, ta grande fortune — est devenue ta suprême affliction. Hélas ! ce bon seigneur ! — il s’est arraché furieux à cette terre ingrate — de monstrueux amis ; — et il n’a aucun moyen de soutenir — ou de gagner sa vie. — Je vais aller à sa recherche. J’ai toujours servi sa fantaisie de tout mon dévouement. — Tant que j’aurai de l’or, je resterai son intendant.

Il sort (17).