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TIMON D'ATHÈNES.

des médecins, — l’abandonnent successivement, et il faut que je me charge de la cure. — Il m’a fait là une grave offense et j’en suis fâché ; — il aurait pu savoir ce qui m’est dû ; je ne vois pas pourquoi — sa détresse ne m’a pas sollicité le premier ; — car, en conscience, je suis le premier — qui ait reçu de lui des présents ; — il me place donc assez bas dans son estime — pour ne compter qu’en dernier sur ma gratitude ! Fi ! — c’en serait assez pour m’exposer à la risée générale, et me faire traiter d’imbécile parmi les seigneurs. — J’aurais voulu, pour trois fois cette somme, — qu’il eût rendu justice à mon cœur en s’adressant d’abord à moi, — si grande était mon ardeur à l’obliger. Mais maintenant retourne près de lui, — et à la froide réplique des autres ajoute cette réponse : — « Qui ravale mon honneur ne verra point mon argent ! »

Il sort.
le serviteur.

Excellent ! Votre Seigneurie est d’une édifiante scélératesse !… Le diable ne s’est guère douté de ce qu’il faisait en rendant l’homme fourbe ; il s’est réhabilité ; et je suis convaincu qu’à la fin les vilenies humaines le feront paraître innocent ! Comme ce seigneur s’évertue à blanchir sa noirceur ! Il prend exemple de la vertu pour faire le mal, comme ces hommes qui, sous le voile d’un zèle ardent, mettraient en feu des royaumes entiers ! — Son dévouement tout politique est de la même nature. — C’est en lui que mon maître espérait le plus ; maintenant tous l’ont abandonné, — tous, excepté les dieux. Maintenant ses amis sont morts, — ses portes qui ne connurent jamais les verrous, — durant tant d’années prospères, doivent servir maintenant — à sauvegarder la liberté de leur maître. — Et voilà à quoi l’a réduit toute sa libéralité ! — Qui n’a pu garder l’argent doit garder la maison.

Il sort.