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INTRODUCTION.

grande envers lui la courtoisie d’Épitia, l’aima toujours beaucoup, et elle vécut très-heureusement avec lui le reste de ses jours.

Ainsi finit l’aventure que l’auteur des Hécatommithi racontait à toute l’Italie vers l’an de grâce 1565. Révélé à la France par la traduction de notre compatriote Gabriel Chappuys[1], ce récit parvint en Angleterre en même temps que la glorieuse légende du More de Venise. Un écrivain aujourd’hui oublié, Georges Whetstone le prit pour thème d’une comédie en deux parties qu’il dédia, en 1575, à son respectable ami et parent William Fleetwood, recorder de Londres. — Si imparfaite qu’elle fût, cette comédie attestait pourtant chez son auteur un certain tact poétique. Whetstone avait compris le défaut capital de la fable italienne et avait essayé de le corriger. Quoi de plus répugnant, en effet, pour le sens moral que la terminaison de cette fable : l’assassin épousant la sœur de l’assassiné, cette jeune fille prétendue si pure, si généreuse, si noble, achevant paisiblement ses jours en compagnie de l’infâme qui, pour prix de son déshonneur, lui a envoyé le cadavre de son frère ! Qu’Épitia pardonne l’offense personnelle qui lui a été faite, soit. Mais qu’elle amnistie le meurtre au point de vivre heureuse avec le meurtrier, c’est ce qui révolte l’équité et la raison. Cette félicité conjugale est moralement impossible ; un spectre la troublera toujours. La lune de miel qui doit luire sur ce bon ménage monstrueux aura toujours l’aspect horrible d’une tête coupée. — Aussi, pour pallier l’impression odieuse produite par une telle conclusion, maître Whetstone imagine un moyen qui, disons-le à son honneur, sera sanctionné par Shakespeare : il sauve les jours du frère con-

  1. Voir cette traduction à l’Appendice.