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MESURE POUR MESURE.

angelo.

— Vous sembliez tout à l’heure faire de la loi un tyran, — et présenter l’infraction de votre frère comme une — fredaine plutôt que comme un vice.

isabelle.

— Oh ! pardonnez-moi, monseigneur. Il arrive souvent — que, pour avoir ce que nous désirons, nous ne disons pas ce que nous pensons. — J’excuse quelque peu ce que je hais — en faveur de ce que j’aime chèrement.

angelo.

Nous sommes tous fragiles.

isabelle.

Eh bien, que mon frère meure, — s’il subit seul le vasselage du mal, — s’il est l’unique héritier de la faiblesse !

angelo.

Certes, les femmes sont fragiles aussi.

isabelle.

— Oui, comme les glaces où elles se mirent, — et qui se brisent aussi facilement qu’elles reflètent les formes… — Les femmes !… Le ciel les protège ! Ce sont les hommes qui corrompent leur nature, — en abusant d’elles. Certes, appelez-nous dix fois fragiles, — car nous sommes délicates comme nos complexions, — et crédules aux impressions fausses.

angelo.

Je le crois. — Et puisque tel est votre propre sexe, d’après votre témoignage, — puisque nous-mêmes, je suppose, nous ne sommes pas plus fortement — constitués pour résister aux erreurs, parlons hardiment. — Je vous prends au mot : soyez ce que vous êtes, — c’est-à-dire, une femme ; si vous êtes plus, vous n’êtes plus femme ; — si vous l’êtes, comme l’indique bien — tout votre extérieur, prouvez-le, — en revêtant la livrée prédestinée.