Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
MESURE POUR MESURE.

isabelle.

À quelle heure demain — me présenterai-je à Votre Seigneurie ?

angelo.

À n’importe quel moment, avant midi.

isabelle.

— Dieu garde Votre Honneur !

Elle sort avec Lucio et le prévôt.
angelo.

— Oui, de toi et de ta vertu même ! — Qu’est-ce donc ? qu’est-ce donc ? Est-ce sa faute, ou la mienne ? — De la tentatrice, ou du tenté, qui est le plus coupable ? Ah ! — ce n’est pas elle : elle ne veut pas me tenter ; c’est moi — qui, exposé au soleil près de la violette, — exhale, non l’odeur de la fleur, mais les miasmes de la charogne, — sous le rayon bienfaisant ! Se peut-il — que la chasteté séduise plus nos sens — que la légèreté de la femme ? Quand nous avons tant de terrains déblayés, — désirerons-nous donc raser le sanctuaire — pour y installer nos latrines ? Oh ! fi, fi, fi donc ! — Que fais-tu ? ou qu’es-tu, Angelo ? — La désirerais-tu criminellement pour les choses mêmes — qui la font vertueuse ? Oh ! que son frère vive ! — Les larrons sont autorisés au brigandage — quand les juges eux-mêmes volent. Quoi ! l’aimerais-je donc, — que je désire l’entendre encore, — et me rassasier de sa vue ? Est-ce que je rêve ? — Ô ennemi rusé qui, pour attraper un saint, — prends une sainte pour amorce ! Dangereuse entre toutes — est la tentation qui nous excite — à faillir par amour pour la vertu. Jamais la prostituée, — avec sa double séduction, l’art et la nature, — n’a pu une seule fois émouvoir mes sens ; mais cette vertueuse vierge — me domine tout entier, et jusqu’ici, — en voyant les hommes s’éprendre, je n’ai fait que sourire et m’étonner !

Il sort (4).