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MESURE POUR MESURE.

lucio, à part.

— Oui, touchez-le là : vous tenez la veine.

angelo.

— Votre frère est le condamné de la loi, — et vous perdez vos paroles.

isabelle.

Hélas ! hélas ! — Mais jadis toutes les âmes étaient condamnées, — et Celui qui aurait pu si bien se prévaloir de cette déchéance — y trouva le remède. Où en seriez-vous, — si Celui dont émane toute justice — vous jugeait seulement d’après ce que vous êtes ? Oh ! pensez à cela, — et alors vous sentirez le souffle de la pitié sur vos lèvres, — comme un homme nouveau !

angelo.

Résignez-vous, belle enfant ; — c’est la loi, et non moi, qui condamne votre frère : — fût-il mon parent, mon frère ou mon fils, — il en serait de même pour lui ; il doit mourir demain.

isabelle.

— Demain ! oh ! si brusquement ! Épargnez-le, épargnez-le ! — Il n’est pas préparé à la mort ! Même pour nos cuisines, — nous ne tuons un oiseau qu’en sa saison ; aurons-nous pour servir le ciel — moins de scrupule que pour soigner — nos grossières personnes ? Mon bon, mon bon seigneur, réfléchissez : — qui donc jusqu’ici a été mis à mort pour cette offense ? — Et il y en a tant qui l’ont commise !

lucio, à part.

C’est cela : bien dit.

angelo.

— Quoiqu’elle ait sommeillé, la loi n’était pas morte : — tant de coupables n’eussent pas osé commettre ce crime — si le premier qui enfreignit l’édit — avait répondu devant elle de son action. Désormais elle veille, — elle prend note de