Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1869, tome 6.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
53
INTRODUCTION.

résultat de cette intercession dans une lettre à sir Henry Sydney, datée du 23 septembre 1595 : « Milord Southampton voit en grande familiarité la belle mistress Varnon, tandis que ses amis, observant l’humeur de la reine envers milord d’Essex, font ce qu’ils peuvent pour la décider à favoriser ses amours : mais jusqu’ici c’est en vain[1]. »

Rien ne put vaincre la cruelle résistance de la reine, — ni l’éloquence d’Essex, ni les prières de Southampton, ni la douleur si touchante d’Élisabeth Varnon. Vainement les fiancés éplorés embrassaient les genoux de Sa Majesté pour obtenir d’elle l’autorisation de s’épouser. L’auguste précieuse les renvoyait sèchement en leur prêchant le renoncement à des joies toutes mondaines. Que venait-on lui parler de mariage ? Ah ! fi ! s’écriait-elle comme l’Armande de Molière :

Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,
Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant,
De quelle étrange image on est par lui blessée,
Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?

Le pauvre Southampton était désolé. Que faire ? Comment lui, vassal impuissant, pouvait-il entrer en lutte avec cette volonté inflexible comme le sceptre ? Il restait une dernière ressource au malheureux comte : c’était de faire plaider sa cause par la poésie et d’appeler la Muse au secours de l’Amour.

Ce fut alors que Shakespeare, ami et confident de Southampton, imagina le plan de la comédie, jusqu’ici incomprise, qui nous occupe en ce moment. — Montrer tous les ridicules auxquels s’expose la petite toute-puis-

  1. « Mylord Southampton doth with much familiarity the faire Mrs Varnon while his friends observing the queen’s humors towards my Lord of Essex, do what they can to bring her to favour him ; but it is yet in vain. » (Sydney Papers.)