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NOTES.

sa publication elle avait été représentée par la troupe du comte de Pembroke : est-il probable que Shakespeare, appartenant à une troupe rivale de celle du comte, aurait voulu contribuer à la vogue de ses concurrents en leur livrant une comédie qui pouvait être jouée si fructueusement par ses associés ? Voilà l’objection dans toute sa force. Il est facile d’y répondre en démontrant qu’à cette époque le droit de propriété littéraire était loin d’être protégé comme il l’est aujourd’hui. Au temps de la bonne reine Bess, les chefs de troupe ne se faisaient nul scrupule de monter et de représenter, sans l’assentiment de l’auteur, une pièce qui attirait le public dans un théâtre rival. Comme l’a fort bien dit M. Collier, « une pièce écrite, par une compagnie et peut-être jouée par cette compagnie telle qu’elle était écrite, pouvait être obtenue subrepticement par une autre, grâce à une transcription, aussi fidèle que possible, des paroles prononcées par les exécutants originaux ; de cette seconde compagnie elle pouvait passer à une troisième, et, après une succession de changements, de corruptions et d’omissions, elle pourrait parvenir jusqu’à l’impression. Je tiens donc pour positif que des auteurs favoris comme Robert Greene, Christophe Marlowe, Thomas Lodge, George Peel, Thomas Kid, et quelques autres fournissaient d’œuvres dramatiques, non pas une compagnie seulement, mais la plupart des associations d’acteurs de la métropole ; et quand nous trouvons que, dans le journal du chef de troupe Henslowe, Tamerlan est mentionné comme ayant été joué par les comédiens de lord Strange, nous pouvons conclure que ce drame était joué aussi par les comédiens de la reine, de lord Nottingham, de lord Oxford ou par toute autre compagnie ayant pu monter, tant bien que mal, une reproduction de la pièce originale. Le drame si populaire de Christophe Marlowe, que je viens de nommer, est un exemple parfaitement choisi ; car sur le titre de la pièce imprimée en 1590 on nous dit qu’elle était jouée par les serviteurs du lord amiral, et pourtant Henslowe la mentionne comme ayant été représentée cinq fois par les serviteurs de lord Strange antérieurement à Avril 1592[1] ». Cette assertion si explicite du savant historien de la scène anglaise est une réponse victorieuse aux accusateurs de Shakespeare. Parce que la troupe du comte de Pembroke a joué la Sauvage apprivoisée primitive, cela ne prouve nullement que Shakespeare n’en soit point l’auteur. Les comédiens de lord Pembroke ont pu se procurer une copie d’une pièce appartenant dès l’origine aux comédiens de la reine, juste comme les comédiens de lord

  1. Collier, History of the stage, t. III. p. 86.