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SCÈNE VI.
traits divers se fondent en un grâce unique, — où rien ne manque de ce qui peut manquer au désir ! — Prêtez-moi les fleurs du plus sublime langage… — Mais non ! fi des couleurs de la rhétorique ! Elle n’en a pas besoin. C’est aux choses vénales qu’il faut des éloges de vendeur (43). — Elle dépasse tout éloge ; un éloge trop mesquin ne ferait que la déparer. — Un ermite flétri, usé par cent hivers, — pourrait en secouer cinquante sous le rayonnement de son regard. — Sa beauté reverdit et ranime la vieillesse, — et donne à la béquille l’enfance du berceau. — Oh ! elle est le soleil qui fait briller toute chose !
LE ROI.

— Par le ciel, ta bien-aimée est noire comme l’ébène.

BIRON.

— Est-ce que l’ébène lui ressemble ? Ô bois divin ! — Une épouse de ce bois-là, ce serait la félicité. — Oh ! qui peut ici déférer un serment ? Où est le livre saint — que je jure que la beauté n’est pas la beauté, si elle n’est pas modelée sur elle ? — Il n’est pas de beau visage qui ne soit noir autant que le sien ! (44).

LE ROI.

— Ô paradoxe ! Le noir est le chevron de l’enfer, — la couleur des donjons et la moue de la nuit, — Le cimier de la beauté, c’est la clarté du ciel.

BIRON.

— Les démons les plus tentateurs ressemblent aux esprits de lumière. — Oh ! si ma dame a le front tendu de noir, — c’est qu’elle a pris le deuil à la vue de tant de visages fardés, de chevelures usurpées — qui ravissent les amoureux de leurs faux attraits (45). — Elle est venue au monde pour faire du noir la beauté suprême. — Son teint va changer la mode de nos jours ; — l’incarnat même de la nature va passer pour un méchant fard ; — et aussi les faces roses qui voudront échapper aux déni-