Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1869, tome 6.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN.

LA COMTESSE.

Sont-ce là toutes les raisons de Votre Révérence ?

LE CLOWN.

À dire vrai, madame, j’ai d’autres raisons telles quelles, des raisons de piété.

LA COMTESSE.

Le monde peut-il les connaître ?

LE CLOWN.

J’ai été, madame, une créature perverse, comme vous et tous ceux qui sont de chair et de sang ; et, en vérité, je me marie pour pouvoir me repentir…

LA COMTESSE.

De ton mariage bien plutôt que de ta perversité.

LE CLOWN.

Je n’ai plus d’amis, madame, et j’espère en avoir par ma femme.

LA COMTESSE.

Drôle ! ces amis-là sont des ennemis.

LE CLOWN.

Vous en jugez à la légère, madame. Ce sont des amis, et de grands amis ! Car ces coquins-là viennent faire pour moi ce dont je suis las ! Celui qui laboure ma terre épargne mon attelage et me laisse recueillir la récolte ; s’il me fait cocu, je le fais ma bête de somme. Celui qui console ma femme soigne ma chair et mon sang ; celui qui soigne ma chair et mon sang, aime ma chair et mon sang ; celui qui aime ma chair et mon sang, est mon ami : ergo, celui qui baise ma femme est mon ami. Si les hommes pouvaient se résigner à être ce qu’ils sont, il n’y aurait rien à craindre dans le mariage. En effet, le jeune Charbon le puritain et le vieux Poysam le papiste, tout différents que sont leurs cœurs en religion, ont la tête pareille. Ils peuvent croiser leurs cornes aussi bien que tous les cerfs du troupeau.