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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

honorer la fête : lesquels, sitôt qu’ils eurent le tout entendu, menèrent tel deuil, que, qui eût vu lors leurs contenances, il eût pu aisément juger que c’était la journée d’ire et de pitié, spécialement le seigneur Antonio, lequel avait le cœur si serré, qu’il ne pouvait ni pleurer ni parler, et, ne sachant que faire, mande incontinent quérir les plus experts médecins de la ville, lesquels, après s’être enquêtés de la vie passée de Juliette, jugèrent d’un commun rapport qu’elle était morte de mélancolie et lors les douleurs commencèrent à se renouveler. Et si oncques journée fut lamentable, piteuse, malheureuse et fatale, certainement ce fut celle en laquelle la mort de Juliette fut publiée par Vérone : car elle était tant regrettée des grands et des petits, qu’il semblait à voir les communes plaintes que toute la République fut en péril et non sans cause. Car, outre la naïve beauté, accompagnée de beaucoup de vertus, desquelles nature l’avait enrichie, encore était-elle tant humble, sage et débonnaire, que, pour cette humilité et courtoisie elle avait si bien dérobé les cœurs d’un chacun, qu’il n’y avait celui qui ne lamentât son désastre.

Comme ces choses se menaient, frère Laurens dépêcha en diligence un bon père de son couvent nomme frère Anselme[1] auquel il se fiait comme en lui-même, et lui donna une lettre écrite de sa main, et lui commanda expressément ne la bailler à autre qu’à Rhoméo, en laquelle était conté tout ce qui était passé entre lui et Juliette, nommant la vertu de la poudre, et lui mandant qu’il eût à venir la nuit suivante, parce que l’opération de la poudre prendrait fin, et qu’il emmènerait Juliette avec lui à Mantoue en habit dissimulé, jusqu’à ce que la fortune en eût autrement ordonné. Le Cordelier fit si bonne dili-

  1. Frère Jean, dans le drame.