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APPENDICE.

longtemps avec sa main gelée, m’a toute glacé la mienne, et vous, de votre grâce, la m’avez échauffée.

À quoi soudain répliqua Rhoméo :

— Madame, si le ciel m’a été tant favorable, que je vous aie fait quelque service agréable, pour m’être trouvé casuellement en ce lieu, je l’estime bien employé, ne souhaitant autre plus grand bien, pour le comble de tous les contentements que je prétends en ce monde, que de vous servir, obéir et honorer partout où ma vie se pourra étendre, comme l’expérience vous en fera plus entière preuve, lorsqu’il vous plaira en faire essai : mais au reste, si vous avez reçu quelque chaleur par l’attouchement de ma main, bien vous puis-je assurer que ses flammes sont mortes au regard des vives étincelles et du violent feu qui sort de vos beaux yeux, lequel a si bien enflammé toutes les plus sensibles parties de moi que, si je ne suis secouru par la faveur de vos divines grâces, je n’attends que l’heure d’être du tout consumé et mis en cendre.

À peine eut-il achevé ces dernières paroles, que le jeu de la Torche[1] prit fin, dont Juliette, qui toute brûlait d’amour, lui serrant la main étroitement, n’eut loisir que de lui dire tout bas :

— Mon cher ami, je ne sais quel autre plus assuré témoignage vous voulez de mon amitié, sinon que je vous puis acertener que vous n’êtes point plus à vous-même que je suis vôtre, étant prête et disposée de vous obéir en tout ce que l’honneur pourra souffrir, vous suppliant de vous contenter de ce, pour le présent, attendant quelque

  1. Le pas del Torchio était une danse par laquelle les bals se terminaient, au quatorzième siècle, dans l’Italie du Nord. Chaque dame invitait son danseur en lui présentant une torche allumée. Le divertissement dei Moccoletti, qui encore aujourd’hui à Rome égaie la fin des soirées du carnaval, paraît être un reste de cet ancien usage.