Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 7.djvu/394

Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
ANTOINE ET CLÉOPATRE, ROMÉO ET JULIETTE.

(23) « César envoya l’un de ses serviteurs, nommé Tyréus, homme clairvoyant et bien avisé, et qui, apportant lettres de créance d’un jeune seigneur à une femme hautaine et qui se contentait grandement et se fiait de sa beauté, l’eût par son éloquence facilement pu émouvoir. Celui-ci parlait à elle plus longtemps que les autres, et lui faisait la reine très-grand honneur, tellement qu’il mit Antonius en quelque imagination et soupçon : si le fit saisir au corps et fouetter à bon escient, puis le renvoya ainsi accoutré à César, lui mandant qu’il l’avait irrité, pour autant qu’il faisait trop du superbe, et l’avait eu en mépris, mêmement lorsqu’il était facile et aisé à aigrir pour la misère, en laquelle il se trouvait. Bref, si tu le trouves mauvais (dit-il), tu as par devers toi un de mes affranchis. Hipparchus, pends-le si tu veux, ou le fouette à ton plaisir afin que nous soyons égaux. De là en avant Cléopatra, pour se purger des imputations qu’il lui mettait sus et des soupçons qu’il avait contre elle, l’entretint et le caressa le plus soigneusement et le plus diligemment qu’elle put : car tout premier là où elle solennisait le jour de sa nativité petitement et escharsement, comme il convenait à sa fortune présente, au contraire elle célébrait le jour de la sienne de telle sorte qu’elle outrepassait toutes les bornes de somptuosité et magnificence en manière que plusieurs des conviés au festin, lesquels y étaient venus pauvres, s’en retournaient tous riches. »

(24) « Si César approcha tant qu’il vint planter son camp tout joignant la ville dedans les lices, où on avait accoutumé de manière et piquer les chevaux. Antonius fit une saillie sur lui et combattit vaillamment, si bien qu’il repoussa les gens de cheval de César et les mena battant jusque dedans leur camp, puis s’en revint au palais se glorifiant grandement de cette victoire, et baisa Cléopatra tout aussi armé comme il était venu du combat, lui recommandant l’un de ses hommes d’armes, lequel en cette escarmouche avait très-bien fait son devoir, elle pour loyer de sa vertu, lui donna un corselet et un armet d’or ; mais l’homme d’armes, après qu’il eut reçu ce riche présent, la nuit s’en alla rendre à César. Et Antonius envoya une autre fois défier César, et lui présenter le combat d’homme à homme. César lui fit réponse qu’il avait beaucoup d’autres moyens de mourir que celui-là[1].

  1. L’ambiguïté de cette phrase, fidèlement reproduite par North, a fait commettre à Shakespeare une erreur historique. Le poëte a cru que le