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SCÈNE XXII.
te dis : — est-ce que tu n’as pas de lettre du moine pour moi ?
BALTHAZAR.

— Non, mon bon seigneur.

ROMÉO.

N’importe : va-t’en, — et loue des chevaux ; je te rejoins sur-le-champ.

Sort Balthazar.

— Oui, Juliette, je dormirai près de toi cette nuit. — Cherchons le moyen… Ô destruction ! comme — tu t’offres vite à la pensée des hommes désespérés ! — Je me souviens d’un apothicaire — qui demeure aux environs ; récemment encore je le remarquais — sous sa guenille, occupé, le sourcil froncé, — à cueillir des simples : il avait la mine amaigrie, — l’âpre misère l’avait usé jusqu’aux os. — Dans sa pauvre échoppe étaient accrochés une tortue, — un alligator empaillés et des peaux — de poissons monstrueux ; sur ses planches, — une chétive collection de boîtes vides, — des pots de terre verdâtres, des vessies et des graines moisies, — des restes de ficelle et de vieux pains de rose — étaient épars çà et là pour faire étalage. — Frappé de cette pénurie, je me dis à moi-même : — « Si un homme avait besoin de poison, — bien que la vente en soit punie de mort à Mantoue, — voici un pauvre gueux qui lui en vendrait. » — Oh ! je pressentais alors mon besoin présent ; — il faut que ce besoigneux m’en vende… — Autant qu’il m’en souvient, ce doit être ici sa demeure ; — comme c’est fête aujourd’hui, la boutique du misérable est fermée… — Holà ! l’apothicaire (126) !

Une porte s’ouvre. Paraît l’apothicaire.
L’APOTHICAIRE.

Oui donc appelle si fort ?