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ROMÉO ET JULIETTE.

Entrent Capulet et la nourrice.
CAPULET, regardant Juliette qui sanglotte.

— Quand le soleil disparaît, la terre distille la rosée ; — mais, après la disparition du radieux fils de mon frère, — il pleut tout de bon. Eh bien ! es-tu devenue gouttière, fillette ? Quoi, toujours des larmes ! — toujours des averses ! Dans ta petite personne — tu figures à la fois la barque, la mer et le vent ; — tes yeux, que je puis comparer à la mer, ont sans cesse — un flux et un reflux de larmes ; ton corps est la barque — qui flotte au gré de cette onde salée, et tes soupirs sont les vents — qui, luttant de furie avec tes larmes, — finiront, si un calme subit ne survient, par faire sombrer — ton corps dans la tempête… Eh bien, femme, — lui avez-vous signifié notre décision ?

LADY CAPULET.

— Oui, messire ; mais elle refuse ; elle vous remercie. — La folle ! je voudrais qu’elle fût mariée à son linceul !…

CAPULET.

— Doucement, je n’y suis pas, je n’y suis pas, femme. — Comment ! elle refuse ! elle nous remercie ! — et elle n’est pas fière, elle ne s’estime pas bien heureuse, — tout indigne qu’elle est, d’avoir, par notre entremise, obtenu — pour mari un si digne gentilhomme !

JULIETTE.

— Je ne suis pas fière, mais reconnaissante ; — fière, je ne puis l’être de ce que je hais comme un mal. — Mais je suis reconnaissante du mal même qui m’est fait par amour.

CAPULET.

— Eh bien, eh bien, raisonneuse, qu’est-ce que cela signifie ? — Je vous remercie et je ne vous remercie pas…