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LES JALOUX.

ce que l’envieux peut dire à Othello, et, pour confirmer ce qu’il dit, il n’a qu’à lui présenter un miroir.

Iago lui-même en convient ; il n’est qu’un critique, I am nothing if not critical ; mais c’est un critique qui ne voit jamais que les mauvais côtés ; il est incapable d’admiration et d’enthousiasme ; moralement il a l’hypocrisie de Tartufe ; intellectuellement il a le scepticisme de don Juan ; il ne lui manque que le pouvoir surnaturel pour être Méphistophélès. — En fait de poésie, car Iago improvise parfois, il n’a jamais produit ni pu produire que des épigrammes ; le lyrisme lui est interdit comme la foi ; et pour lui le sublime n’est que le voisin du ridicule. Il regarde donc en réalité comme parfaitement grotesque la passion si grandiose que Desdémona a conçue pour le More. Desdémona, spiritualiste et presque mystique, ne voit du More que l’âme, et admire ; Iago, matérialiste et presque nihiliste, ne voit du More que le corps, et rit. Ce choix si magnanime que la Vénitienne, éprise d’idéal, a fixé sur Othello, apparaît au sceptique enseigne comme une simple dépravation : « Continuera-t-elle de l’aimer ? Non, il faut que ses yeux soient assouvis, et quel plaisir trouvera-t-elle à regarder le diable ? » Ainsi raisonne Iago dans toute la sincérité de sa conscience pervertie, et l’unique chose qu’il ait à faire pour arriver à son but, c’est de convaincre Othello de la justesse de ce raisonnement. Dès que le More aura cédé aux séductions de cet argument spécieux ; dès qu’il aura adopté le jugement d’Iago sur son mariage ; dès qu’il aura admis que le sublime coup de tête de Desdémona peut n’être qu’une escapade ridicule, dès ce moment Othello aura mordu au fruit fatal. Les deux époux sont perdus et le démon les entraîne irrésistiblement dans la chute.

Du reste, il faut convenir que le plan infernal est com-