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INTRODUCTION.

invitées aux fêtes de Harefield et qui composèrent ce soir-là tout le parterre féminin du poëte. Outre la reine, outre la châtelaine, lady Derby, il y avait là lady Huntingdon, lady Hunsdon, lady Berkeley, lady Stanhope, lady Compton, lady Fielding, mistress Gresley, mistress Packington, mistress K. Fischer, mistress Saychoverell, mistress M. Fischer, mistress Davers, mistress Egerton… Ah ! mesdames les grandes dames, vous qui étiez alors la hautaine élite de la beauté et de la noblesse anglaise, vous qui, coiffées de perles, parées de brocart, de velours et de satin, couronnées de diamants, regardiez se jouer cette pièce nouvelle comme au-dessous de vous, en lui accordant parfois peut-être votre dédaigneuse approbation, vous doutiez-vous qu’un temps viendrait où vous échapperiez à l’oubli de l’histoire par cette unique raison qu’un soir vous aviez vu, les premières, représenter le drame de cet histrion de Shakespeare ?

Quelle impression Othello produisit-il sur la reine Élisabeth ? C’est ce que nul ne saura jamais. Peut-être la contemplation de cette grande douleur imaginaire lui fit-elle oublier pour un instant ses propres chagrins ; peut-être au contraire la vue de la fatale erreur du More l’offusqua-t-elle comme une remontrance. Qui, en effet, mieux qu’Élisabeth, avait prêté l’oreille au soupçon ? Qui, plus qu’elle, avait été possédée de « ce monstre à l’œil vert qui produit l’aliment dont il se nourrit ? » Dominée par cette effrayante passion qui de sa victime fait un bourreau, que n’avait-elle pas souffert et que n’avait-elle pas fait souffrir ? Durant sa longue toute-puissance, elle avait persécuté de ses inquiétudes tous les beaux et grands seigneurs de sa cour. Jalouse, elle l’avait été d’Essex ; elle l’avait été de Raleigh ; elle l’avait été de lord Hunsdon ; elle l’avait été de Leicester.