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LES JALOUX.

la retraite aux fuyards. Bélarius menace de son épée le premier lâche qui bougera : « Aux enfers les âmes qui reculent ! halte ! halte ! » À l’aspect de ce vieillard et de ces jeunes gens apparus tout à coup on ne sait d’où, les Bretons croient avoir reçu du ciel un renfort de trois légions. « Devant cette intrépidité qui changerait une quenouille en lance, les plus blêmes visages se raniment. » Les assaillis deviennent assaillants. Ô miracle ! la déroute fait volte-face et met en fuite la victoire. La patrie est libre. Les aigles se sont sauvées à tire d’ailes comme des corbeaux. Trois proscrits ont triomphé de César.

Le dénoûment de Cymbeline a été loué par les plus grands détracteurs de Shakespeare. Il a été vanté même par Steevens, ce triste critique qui a annoté Shakespeare comme Voltaire a commenté Corneille. En effet, ce drame si compliqué, où tant d’intrigues se croisent, va se conclure avec une admirable simplicité.

La fortune de la guerre a réuni dans la tente de Cymbeline les principaux personnages de la pièce ; seule la reine, morte de rage, comme sa sœur, l’ambitieuse lady Macbeth, manque à l’appel du sort. Près du roi, assis sur son trône, voici les sauveurs de la patrie, Bélarius, Guidérius et Arviragus ; voici Pisanio, le fidèle écuyer, qui, en désobéissant à son maître, a sauvé sa maîtresse. En face du roi, debout comme devant un juge, voici, entre deux haies de soldats, le général ennemi Lucius et son lieutenant Iachimo, l’imposteur que vous savez ; derrière eux, dans la foule des prisonniers, voici Imogène, qu’on a crue morte et qui, recueillie par Lucius, est devenue son page ; voici Posthumus, transfuge du désespoir, qui, après avoir combattu pour son pays dans les rangs bretons, n’a passé à l’ennemi que pour mourir.

En effet, tous les captifs vont être sacrifiés aux dieux,