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EXTRAIT DES HÉCATOMMITHI DE CINTHIO.

et le lieu lui ouvrît le chemin à une tant méchante et malheureuse entreprise.

Bien tôt après, le More priva le caporal de son degré, pour ce qu’il avoit mis la main à l’épée, en garde, contre un soldat, et l’avoit fort blessé ; dequoi Disdemone fut bien fâchée, et avoit tâché beaucoup de fois de le remettre en grâce avec son mari.

Cependant le More dit au méchant enseigne, que sa femme le fachoit tant, pour le caporal de la compagnie, qu’en fin il seroit contraint de le reprendre.

Le méchant homme trouva occasion, de là, de remettre la main à la trahison par lui ourdie, et dit :

— Disdemone a paravanture occasion de le voir volontiers.

— Et pour quoi ? dit le More.

— Je ne veux pas, répondit l’enseigne, m’entremêler du mari et de la femme, mais si vous regardez de près, vous le verrez vous-même.

L’enseigne ne voulut passer outre, quoique le More l’en sollicitât fort ; trop bien ces paroles laissèrent un tant poignant aiguillon au cœur du More, qu’il se mit soigneusement à penser, que vouloient signifier telles paroles, et en était tout mélancolique.

À cette cause, comme sa femme tâchait un jour d’amollir son courroux à l’endroit du caporal, et le priait ne mettre en oubli le service et l’amitié de tant d’années, pour une petite faute, joint que le soldat blessé et le caporal s’étaient accordés, le More entra en colère, et lui dit :

— C’est grand cas, Disdemone, que vous avez tant de souci de celui-là : il n’est ni votre frère, ni votre parent, pour vous induire à lui vouloir tant de bien.

La femme toute gracieuse et humble dit :

— Je ne voudrois pas que vous fussiez fâché contre moi,