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INTRODUCTION.

même a été jadis un combattant illustre ; il a défendu sa patrie contre César et il a encore le corps balafré de coups d’épée romaine. Pourtant, malgré ses longs services, il a suffi d’une calomnie pour le perdre. Lui qui avait voulu l’indépendance de son pays, on l’a accusé d’en avoir voulu la ruine, et il a été disgracié, il a été chassé, il a été banni ; il a été mis hors la loi, hors la patrie, hors l’humanité ! Eh bien, cet exil, dont on voulait lui faire une honte, Bélarius l’accepte comme un honneur ; il en est fier ; il en est heureux. Repoussé par les hommes, il s’est réfugié dans la nature et il y a trouvé la sérénité. Il vit libre et honnête dans son rocher, et, depuis qu’il y habite, il a payé au ciel plus de dettes pieuses que dans toute sa vie passée : « Ô mes enfants, restons proscrits ! Il y a dans notre existence plus de noblesse qu’à solliciter ailleurs l’humiliation. Continuez votre vie de montagnards. Gravissez ces hauteurs, vous dont les jambes sont jeunes ; moi, je foulerai ces plateaux… Puis, remarquez bien, quand vous m’apercevrez d’en haut, menu comme un corbeau, que c’est la place qui amoindrit l’homme ou le grandit. » Les deux jeunes gens ont écouté respectueusement le vieillard ; cette voix, qui les rappelle au devoir, a trouvé un écho dans leur conscience, et bientôt les voilà qui, pleins d’une ardeur nouvelle, reprennent leur élan héroïque et grimpent en chantant à l’assaut de la cime escarpée.

Quel contraste entre le palais de Cymbeline et la grotte de Bélarius, entre la demeure du proscripteur et la retraite du proscrit ! Là, nous ne voyons qu’intrigues, mensonges, désunions, querelles intestines, complots, coups d’État, ambitions monstrueuses rallumant dans de sombres officines je ne sais quel feu de l’enfer, et cherchant au fond de l’alambic empoisonné l’or dont sont