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CYMBELINE ET OTHELLO.

» Mais là ayant reçu avis que les Pannoniens qui habitaient la contrée maintenant appelée Hongrie, et les Dalmates, que nous appelons aujourd’hui Esclavons, s’étaient révoltés, il jugea plus prudent d’aller soumettre des rebelles si voisins que d’envahir de nouvelles contrées, en courant risque de perdre celles qu’il possédait déjà ; et sur ce, tournant toutes ses forces contre les Pannoniens et les Dalmates, il ajourna provisoirement la guerre de Bretagne. Le pays fut donc délivré de toute crainte d’invasion, jusqu’en l’an 725 de la fondation de Rome (environ le dix-neuvième du règne de Théomantius), époque à laquelle Auguste quitta de nouveau Rome avec une armée, dans l’intention de passer en Bretagne pour y faire la guerre. Mais après son arrivée en Gaule, les Bretons lui ayant envoyé des ambassadeurs pour traiter avec lui de la paix, il s’arrêta pour régler l’état des choses chez les Gaulois, qui ne vivaient pas en très-bon ordre. Après quoi, il s’en alla en Espagne, et son voyage en Bretagne fut remis à l’année suivante. Ce fut alors qu’Auguste pensa pour la troisième fois faire une expédition en Bretagne. Mais, de même que les Pannoniens et les Dalmates l’avaient retenu une première fois au moment où il comptait marcher contre les Bretons, de même alors les Salastiens (peuple habitant aux confins de l’Italie et de la Suisse), les Cantabriens et les Asturiens le détournèrent par leurs mouvements séditieux de l’expédition projetée. La contestation, qui paraît s’être élevée entre les Bretons et Auguste, fut-elle occasionnée par Cymbeline ou par quelque autre prince de Bretagne, c’est ce que je ne puis certifier ; car il est rapporté par nos auteurs que Cymbeline, ayant été élevé à Rome et fait chevalier à la cour d’Auguste, se montra toujours l’ami des Romains, et qu’il se refusait surtout à rompre avec eux, par la crainte que les jeunes Bretons ne fussent privés du privilége d’être exercés et élevés chez les Romains, et partant des moyens d’apprendre à se conduire en gens civils et de connaître l’art de la guerre. Soit par cette considération, soit parce qu’il plut au Dieu tout-puissant de disposer ainsi les esprits, toujours est-il que non-seulement les Bretons, mais en quelque sorte toutes les autres nations se résignèrent à obéir à l’empire romain. »

Par l’extrait que je viens de traduire, on voit que Holinshed laissa en suspens la question de savoir si les Bretons refusèrent ou non de payer le tribut convenu avec les Romains. Ce doute laissait Shakespeare maître de choisir l’une ou l’autre version, sans violer ce qui passait de son temps pour être la vérité historique. Le poëte a opté pour la version du refus qui, en expliquant l’invasion de la Bretagne