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INTRODUCTION.

Au quatorzième siècle, la fiction imaginée par Gilbert de Montreuil émigre en Italie et reparaît dans une nouvelle du Décaméron[1]. En traversant les Alpes, en se transportant au milieu d’une société où les passions de l’homme sont si ardentes, elle reprend son caractère impitoyable. Dans cette contrée de trafic et de lucre, ce n’est plus entre chevaliers que l’action se passe, c’est entre marchands. Des négociants réunis dans une hôtellerie causent, après souper, des femmes en général et de leurs femmes en particulier. Un d’eux, nommé Ambrogiulo, soutient, l’impertinent ! que le beau sexe est aussi le sexe faible, et prétend qu’il n’en est pas une qui puisse lui résister, pas même la femme de Bernabo Lomellia, ici présent. Bernabo, outré de cette prétention, offre à Ambrogiulo de parier que Ginevra le repoussera. Le fat accepte la gageure, part pour Gênes, où loge la belle, et, sans même tenter de la voir ni de la séduire, se fait porter chez elle dans un coffre, la surprend endormie, remarque un signe qu’elle a au-dessous de la mamelle gauche, à savoir un poireau autour duquel il y avait quelques petits poils blonds comme de l’or, lui vole une bourse, une robe, un anneau et une ceinture, observe en détail l’ameublement de la chambre et se retire. Revenu auprès de Bernabo, il lui fait croire, grâce à ces pièces de conviction, qu’il a gagné le pari. Bernabo, exaspéré, envoie secrètement à un de ses gens l’ordre de tuer Ginevra. Le serviteur attire la pauvre femme dans un lieu désert ; mais, au moment de la frapper, il cède à ses prières et lui laisse la vie. Comme Euriante, comme Jehanne, comme Imogène, Ginevra se sauve habillée en homme. Elle traverse les mers et se réfugie à Alexandrie où, sous le nom de Sicurano, elle devient

  1. Voir cette nouvelle à l’Appendice.