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SCÈNE VI.

IAGO.

Pas encore, lieutenant : il n’est pas dix heures. Notre général ne nous a renvoyés si vite que par amour pour sa Desdémona. Ne l’en blâmons pas. Il n’a pas encore fait nuit joyeuse avec elle, et la fête est digne de Jupiter.

CASSIO.

C’est une femme bien exquise.

IAGO.

Et, je vous le garantis, pleine de ressources.

CASSIO.

Vraiment, c’est une créature d’une fraîcheur, d’une délicatesse suprêmes.

IAGO.

Quel regard elle a ! il me semble qu’il bat la chamade de la provocation.

CASSIO.

Le regard engageant, et pourtant, ce me semble, parfaitement modeste.

IAGO.

Et quand elle parle, n’est-ce pas le tocsin de l’amour ?

CASSIO.

Vraiment, elle est la perfection même.

IAGO.

C’est bien ! bonne chance à leurs draps !… Allons, lieutenant, j’ai là une cruche de vin, et il y a à l’entrée une bande de galants Chypriotes qui seraient bien aises d’avoir une rasade à la santé du noir Othello.

CASSIO.

Pas ce soir, bon Iago ! j’ai pour boire une très-pauvre et très-malheureuse cervelle. Je ferais bien de souhaiter que la courtoisie inventât quelque autre plaisir sociable.

IAGO.

Oh ! ils sont tous nos amis. Une seule coupe ! je la boirai pour vous.