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OTHELLO.
levé la fille de ce vieillard, — c’est vrai, comme il est vrai que je l’ai épousée : — voilà le chef de mon crime ; vous le voyez de front, — dans toute sa grandeur. Je suis rude en mon langage, — et peu doué de l’éloquence apprêtée de la paix. — Car, depuis que ces bras ont leur moelle de sept ans, — ils n’ont cessé, excepté depuis ces neuf mois d’inaction, — d’employer dans le camp leur plus précieuse activité ; — et je sais peu de chose de ce vaste monde — qui n’ait rapport aux faits de guerre et de bataille. — Aussi, embellirai-je peu ma cause — en la plaidant moi-même. Pourtant, avec votre gracieuse autorisation, — je vous dirai sans façon et sans fard — l’histoire entière de mon amour, et par quels philtres, — par quels charmes, par quelles conjurations, par quelle puissante magie — (car ce sont les moyens dont on m’accuse) — j’ai séduit sa fille.
BRABANTIO.

Une enfant toujours si modeste, — d’une nature si douce et si paisible — qu’au moindre mouvement — elle rougissait d’elle-même ! Devenir, en dépit de la nature, — de son âge, de son pays, de sa réputation, de tout, — amoureuse de ce qu’elle avait peur de regarder ! — Il n’y a qu’un jugement difforme et très-imparfait — pour déclarer que la perfection peut faillir ainsi — contre toutes les lois de la nature ; il faut forcément — conclure à l’emploi des maléfices infernaux — pour expliquer cela. J’affirme donc, encore une fois, — que c’est à l’aide de mixtures toutes-puissantes sur le sang — ou de quelque philtre enchanté à cet effet — qu’il a agi sur elle (23).

LE DOGE.

Affirmer cela n’est pas le prouver. — Des témoignages plus certains et plus évidents — que ces maigres apparences et que ces pauvres vraisemblances — d’une probabilité médiocre, doivent être produits contre lui.