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INTRODUCTION.

Occupé sans cesse de tournois et de carrousels, il ne songeait pas à la marier. La mère était désolée de cet oubli, et, n’osant entamer elle-même une discussion si délicate, elle avait chargé l’écuyer Robin de rappeler à son mari qu’il était temps de pourvoir Jehanne. Un jour donc qu’il chevauchait à côté de son maître par le chemin, le fidèle Robin insinua discrètement que mademoiselle était déjà bien grande et que le moment serait peut-être venu de lui choisir un époux parmi les riches prétendants qui s’offraient de toutes parts. — Robin, lui répondit le chevalier, puisque tu es si désireux que ma fille soit mariée, elle le sera assez tôt si tu t’y accordes. — Certes, Sire, répliqua Robin, je m’y accorderai volontiers. — Me le jures-tu ? — Oui, Sire. » Sur ce le chevalier prit un air solennel : « Robin, tu m’as servi molt bien et je t’ai trouvé prudhomme et loyal, et pour ce te donnerai ma fille si tu la veux prendre. — Ha, Sire, fit Robin, pour Dieu mierchi ! qu’est-ce que vous dites ? Je suis trop pauvre personne pour avoir si haute pucelle, si riche, si belle comme mademoiselle est. » L’écuyer protesta de son indignité ; mais ce fut comme s’il chantait. Le seigneur n’en voulut pas démordre ; il déclara qu’il ne voulait pas d’autre gendre que Robin, et, pour couper court à toute objection, il le fit chevalier. Robin obéissant mena Jehanne à l’église, et prit désormais le titre de messire Robert. Malheureusement le nouveau marié avait fait un vœu fort imprudent : c’était d’entreprendre un pèlerinage à Saint-Jacques aussitôt qu’il serait chevalier. Le voilà donc obligé par un serment sacré à quitter sa femme avant même d’avoir usé de ses droits d’époux. Comme il allait monter en selle après avoir embrassé Jehanne et fait ses adieux à son beau-père, un certain chevalier Raoul qui était de la noce, le retint par la manche et lui dit d’un ton railleur : « Certes, messire