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SCÈNE XIV.
dans cette caverne, causerons-nous — durant les heures glacées ? Nous n’avons rien vu : — nous sommes pareils à la bête : subtils comme le renard, pour attraper ; — belliqueux comme le loup, pour manger ; — notre valeur consiste à chasser ce qui fuit ; — notre cage, nous la faisons retentir, comme l’oiseau emprisonné, — en chantant librement notre servage.
BÉLARIUS.

Comme vous parlez ! — Ah ! si seulement vous connaissiez les usures de la cité, — après en avoir fait vous-mêmes l’épreuve ! les intrigues de la cour, — sommet aussi dur à quitter qu’à garder, et dont l’escalade — est une chute certaine, hauteur si glissante — que le vertige y fait souffrir autant que la chute ! — Si vous connaissiez les soucis de la guerre, — métier où l’homme ne cherche que le danger — sous prétexte de gloire et d’honneur, et où, s’il meurt à la recherche, — il obtient pour épitaphe une calomnie aussi souvent — qu’un éloge ; où bien des fois — il est puni d’avoir fait le bien, et, ce qu’il y a de pire, — obligé de s’incliner devant la censure !… Ô mes enfants, cette histoire, — le monde peut la lire dans la mienne. Mon corps est balafré de coups d’épée romaine, et ma réputation était jadis parmi les plus illustres. Cymbeline m’aimait ; — et quand on parlait d’un soldat, mon nom — n’était pas loin. Alors j’étais un arbre — dont les branches ployaient sous le fruit ; mais, une nuit, — un ouragan ou un brigandage, appelez cela comme vous voudrez, — jeta à terre ma parure dorée, oui, jusqu’à mes feuilles, — et me laissa nu à l’air.

GUIDÉRIUS.

Incertitude de la faveur !

BÉLARIUS.

— Ma faute unique, je vous l’ai dite souvent. — Deux misérables, dont les faux serments prévalurent — sur