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TROYLUS ET CRESSIDA.

SCÈNE III.
[Le camp grec devant la tente d’Agamemnon.]
Fanfares. Arrivent Agamemnon, Nestor, Ulysse, Ménélas, et autres chefs.
AGAMEMNON.

— Princes, — quel chagrin à donc jauni vos joues ? — Dans tous les desseins formés ici-bas, — les vastes conjectures que fait l’espérance — ne s’accomplissent pas dans la plénitude promise. Les obstacles et les désastres — se rencontrent dans les veines des actions les plus nobles : — tels que ces nœuds causés par le choc des courants de la sève, — qui déforment le pin vigoureux, et détournent ses fibres — tortueuses et errantes de leur direction régulière. — Ce n’est pas chose étrange pour nous, princes, — d’êtres déçus dans nos suppositions — et de voir, après sept ans de siége, les murs de Troie encore debout ! — Toutes les entreprises passées — dont nous avons souvenir ont subi dans l’exécution — des écarts et des traverses en désaccord avec le plan, — avec la forme idéale que la pensée — leur donnait dans ses prévisions. Pourquoi donc, princes, — regardez-vous notre œuvre de cet air confus ? — Prenez-vous donc pour des hontes ces délais qui ne sont, en réalité, — que des expériences faites par le grand Jupiter — pour découvrir dans les hommes la vrai persévérance ? — La pureté de ce métal-là ne se contrôle pas — au milieu des faveurs de la fortune ; car alors le brave et le lâche, — le sage et le fou, — l’artiste et l’illettré, — le fort et le faible, semble tous d’une qualité également pure ; — mais c’est pendant les tempêtes de