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PANDOSTO OU LE TRIOMPHE DU TEMPS.

ils se séparèrent, après maintes embrassades et maints doux baisers… Chaque fois que l’occasion le favorisait, Dorastus se rendait ainsi auprès de Fawnia ; mais, quoiqu’il ne la visitât jamais que dans ses hardes de berger, ses fréquentes apparitions le firent non-seulement suspecter, mais reconnaître par divers voisins qui, par amitié pour le vieux Porrus, le prévinrent secrètement de toute l’intrigue. Porrus fut si consterné de cette nouvelle, qu’après avoir remercié ses voisins de leur bonne volonté, il rentra vite chez lui, prit sa femme à part, et, se tordant les mains et fondant en larmes, il s’ouvrit à elle en ces termes : « J’ai grand’peur, femme, que ma fille Fawnia ne paye bien cher sa beauté. J’apprends une nouvelle qui, si elle est vraie, causera des regrets à plus d’un. Mes voisins m’ont dit que Dorastus, le fils du roi, commence à regarder notre fille Fawnia ; si cela est, je ne donnerais pas un denier de son honnêteté à la fin de l’année. Ah ! ce sont de dures conjonctures que celles où les appétits des princes font loi ! — Paix, mari, dit la femme, prenez garde à ce que vous dites ; c’est par ruse qu’il faut arrêter les grands courants, et non par force, c’est par soumission qu’il faut persuader les princes, et non par rigueur. Faites ce que vous pouvez, mais pas plus, de peur qu’en sauvant le pucelage de Fawnia vous ne perdiez votre tête. — Bah ! femme, tu parles comme une folle : si le roi savait que Dorastus a fait un enfant à notre fille, comme je crains que cela n’arrive bientôt, sa fureur serait telle que nous perdrions nos biens et nos vies. Je veux donc prendre la chaîne et les joyaux que j’ai trouvés avec Fawnia, et les porter au roi, en lui déclarant qu’elle n’est point ma fille, mais que je l’ai trouvée, secouée par les vagues, dans une petite barque et enveloppée en un riche manteau où était enclos ce trésor. Par ce moyen, j’espère que le roi pren-